© Pierre-Larry Petrone


Il s’appelle Pierre-Larry Petrone. Membre de la Société des Explorateurs Français, il est l’auteur de l’ouvrage « Seule la Nature s’en souviendra ». Mais c’est son précédent livre « Journal d’un jeune alpiniste » qu’il a choisi de nous raconter via un long morceau choisi. Une belle manière de vivre cette fin de confinement. Un hymne à cette Nature que l’on doit préserver. 


Je bivouaque dans le parc national de Denali en Alaska. Le vent souffle. Ce vent qui emporte les bruits et les odeurs, la sueur d’une face nord. D’ici, je regarde les étoiles me bercer, palpiter doucement dans mon cœur. Je me sens vulnérable.

Et cette phrase de Jon Krakauer qui me vient à l’esprit : « J’ai appris que l’essentiel dans la vie, ce n’est non pas d’être fort, mais de se sentir fort  Et le but ce n’est pas d’aller le plus loin mais c’est le chemin pour y arriver ». 

C’est ici en montagne, au cœur de la nature sauvage d’Alaska que je continue mon pèlerinage intérieur. C’est l’aventure finale ici. Au bout du monde avec soi-même, la nature, les animaux, les glaciers, les sommets enneigés. Ce qui m’importe c’est d’essayer de faire ressurgir le divin en moi. Le divin qu’il y a en chacun de nous comme une flamme. 

De tous temps et dans toutes les civilisations probablement, les montagnes ont été́ regardées comme la demeure des dieux et comme la manifestation d’un lien entre le ciel et la terre.

Pierre-Larry Petrone

Là-haut, dans le ciel, il y a ce qui relie, ce qui unit, la beauté́ qui apaise, le sens de la vie, les dieux, Dieu. 

Dans cette nuit, il y a la lumière de mon regard qui brille si clairement.
Je sais seulement, que dans ce silence qui s’installe, je regarde fixement l’horizon. J’entends le bruit de mon cœur. Je regarde de tous mes yeux au fond du monde. 

A cet instant, je sens remuer en moi toutes sortes de choses brûlantes de mon existence, comme si en moi, il existait la vérité́ qui parcourait mon corps.

Comme si c’était à moi-même, à cette vie invisible, à cet endroit où personne ne pouvait m’atteindre que je devais porter toute mon attention. 

Peut-être est ce chant que l’on entend par les chemins, dans la nature ? 

Et par un matin d’été, je reste assis sur une pierre en haut d’une montagne en Alaska, sourire aux lèvres, du lever du soleil à midi, perdu en rêve, au milieu des sommets, au sein parfois d’une solitude et d’une paix que rien ne trouble, pendant que le ciel chante ou que le vent vol. Parfois, le cri d’un caribou me rappelle ma connexion au peuple des animaux, à un tout. 

C’est une joie de voir briller le soleil sur l’immensité des plaines du parc de Denali et d’entendre souffler dessus la libre brise. Je vogue vers le Nord, sur la Grande route.

C’est la seule vérité. J’approfondis l’abîme que sans cesse se creuse entre l’être et son apparence, plongeant à corps perdu dans les tréfonds de la nature humaine. Là ou le fond n’a plus de fond. 

Et vivre tout à coup
Intense comme la forêt et les saisons
De vie un peu plus vive
Homme un peu plus qu’avant
Et soi-même encore plus
Battre le jour, la nuit, la vie
Battre de peur vers l’inconnu
Battre quand même avec le souffle de nos ancêtres
Battre jusqu’au bout de son cœur

La vie dans la nature nous ramène à notre essence profonde.
Je repense à mes compagnons de cordées, aux chemins de traverse, aux parois difficiles.

La montagne parle de verticalité, d’altitude, d’ascension. La montagne nous appel vers le sommet. Le fait de s’élever vers les cieux, plus proche de « là-haut résonne chez les alpinistes. L’altitude motive, fascine. Le sommet se lie avec le mystère de l’existence. Il fait espérer, entrevoir un espace de liberté́. Il donne la hauteur et procure un sentiment de maîtrise sur les éléments.

© Pierre-Larry Petrone


Paul Keller, guide et pasteur, que j’ai considérais comme mon grand-père d’adoption, disait : « Il valorise le haut sur le bas dans le langage et jusque dans la structure sociale où l’on oppose des « catégories supérieures » à celles qui sont dans les « bas-fonds » ». L’altitude est chargée de promesses, celle d’une plus grande pureté́ et même, dit-on, la proximité́ du divin. 

Selon Gaston Bachelard, « toute valorisation est verticalisation » (L’air et les songes, Biblio-essais 1943, p.17). 

L’altitude élève. 
Elle invite à une aventure que chacun doit inventer.

Que cherche-t-on ? Ou va-t-on lorsque l’on s’élève plus haut vers les cieux, lorsque l’on marche des heures sur un glacier, la nuit, le jour dans la difficulté́, à la limite de soi-même, mental et physique ; lorsque l’on bivouac dans le froid, sous la neige avant d’attaquer une paroi.


Tout est fait de trajectoires parallèles, opposées, fusionnelles, de combats intérieurs. Des aventures individuelles à partir desquelles s’écrit aussi une histoire de cordée, collective, à deux, à trois. 

Je ne pense pas que c’est l’intensité́ de nos efforts qui comptent, mais bien notre présence pure à l’instant qui se présente. 

Au-delà̀ des sommets, il s’agit également d’interroger ce qu’il y a de plus intime en chacun : Comment habitons-nous le monde ? 

Edgar Morin disait : « Il y a deux manières d’habiter la terre » ; l’une est « prosaïque », dit-il (banale, raisonnable, fonctionnelle), l’autre est « poétique » (symbolique, utopique, ludique, créatrice). 

La montagne ouvre des brèches en nous, qui étonne, surprenne, émeuve, interroge. Un choc se produit qui, en nous, déplace quelque chose, nous élève, nous saisit. 

© Pierre-Larry Petrone

Le monde lui-même est changé parce que nous en découvrons une autre dimension. Une limite est franchie. Elle permet une prise de distance. Elle permet de s’évader ailleurs, plus loin. Elle donne de l’épaisseur à l’existence. 

Les éléments là-haut ne sont pas les mêmes qu’en bas. La montagne garde en elle un mystère. L’alpiniste va chercher l’inconnu, à la quête d’un autre « monde ». 

La Nature, n’est le jardin d’aucun homme, d’aucune civilisation. Les arbres, les rochers, le vent sur notre visage…

Qui sommes-nous réellement ?
Albert Camus disait : « Jamais je n’ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde ».

Faut-il aller plus loin, plus loin encore que les pays inconnus ? Sur cette route blanche, bleue dénuéé de toute destination, la voie s’accomplit. De par le monde qui m’entoure, de par cette vie aux richesses insoupçonnées, dont on ignore l’existence et l’importance, mon âme y trouve une continuelle éternité́, une admiration. 

Et c’est là mon seul pays. La vie de la montagne, de la mer, du ciel, de la terre, du soleil, de la lune…. 

Alors je citerai Kenneth White « J’ai rêvé d’un lieu primordial, un lieu de pierre, d’eau vive, et de vide ou chaque matin le soleil montait des mers fraiches du Levant (…) La terre alors n’avait pas de nom. » Kenneth White. 

Des sourires et des vents du monde qui passe.
Des arbres entrelacés, de la spiritualité et du temps.
Des cœurs remplis d’étoiles et des libertés sereines.
Des romans qui s’écrient dans la lumière de la nuit.
Des cœurs d’enfants candides qui s’envolent et virevoltent.
Comme des chevaux ailés, dans la grandeur de la vie, vers l’amour infini 

Pierre-Larry Petrone

EN SAVOIR +

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