1911, le Norvégien Roald Amundsen et ses compagnons atteignent le Pôle Sud, dernier espace géographique encore vierge de la Terre. Désormais, la plupart des lieux emblématiques de la planète ont été explorés. Les hommes connaissent la géographie, les côtes, les fleuves et les grandes zones de répartition des populations.

Le temps des « grandes découvertes » semble être révolu, mais pas celui de l’exploration.

Notre terre regorge de milieux et de territoires reculés encore très peu connus. Certes, ils sont loin d’être faciles d’accès, mais ils existent !

Et que dire des mondes souterrains, sous-marins ou du système solaire ?

 

Louis Audouin-Dubreuil

 

Nous sommes en 1937.

Cette année-là, le docteur Robert Gessain, le cinéaste Fred Matter-Steveniers, le géologue Michel Pérez et l’ethnologue Paul-Émile Victor reviennent de la première traversée française de la calotte glaciaire du Groenland. Bertrand Flornoy arrive d’Amazonie péruvienne. Le géologue Louis Liotard repart pour le Tibet oriental.

 

Autour d’eux se réunissent des explorateurs déjà connus, comme Ella Maillart, Jean de Guébriant, Théodore Monod, Henri Lhote ou encore Alexandra David-Néel.


Le 30 juin 1937, une quinzaine d’hommes et de femmes décident de fonder le « Club des Explorateurs et des Voyageurs Français ».  La Société des Explorateurs Français (SEF) est ainsi née.

 

Louis Audouin-Dubreuil, une des figures marquantes des années 1920, l’un des chefs d’expédition des Croisières André Citroën (Noire à travers le continent africain et jaune en Asie), devient leur président.

 

La liste des membres de la Société des Explorateurs Français lors de ses premières années.

 

Lors de la soirée de fondation, salle Pleyel, le 17 décembre 1937, chapeautée par le général Perrier et sous la Présidence du ministre de l’Éducation nationale, Paul-Émile Victor raconte l’histoire des esquimaux chasseurs de phoques, avec qui il vient d’hiverner en solitaire quatorze mois.

Bertrand Flornoy pose sur la table, en préambule à son exposé sur l’Amazonie, une véritable tête miniature rapportée de son expédition chez les peuples réducteurs de têtes.

Théodore Monod, de retour du désert, raconte avec poésie ses méharées dans « le pays de la peur et de la soif ».

Le commandant Guyot et Marcel Griaule exposent, quant à eux, leur mission Dakar-Djibouti tandis que l’artiste-peintre Marin-Marie raconte la mer.

 

La Salle Pleyel devient rapidement le lieu où le Tout-Paris se retrouve pour écouter les récits fantastiques de ces étonnants explorateurs que l’on appelle des « voyageurs ».

 

En 1945, l’Europe meurtrie a besoin de se reconstruire. La France, comme les autres nations touchées, a besoin de croire et d’espérer. Le Président de la République Vincent Auriol propose un « réarmement moral » afin de redonner espoir aux peuples qui viennent de s’entre-déchirer. La Société des explorateurs français va naturellement participer à cet élan.

 

Jacques Villeminot

1946, Robert Pommier, Yves Vallette et Jacques-André Martin atteignent le point culminant du Spitzberg. Jacques-Yves Cousteau, l’inventeur du scaphandre autonome, fait rêver la France avec ses films sous-marins.

Jean Rouch suit jusqu’à l’embouchure les méandres du fleuve Niger et José Emperaire entame un séjour de deux ans chez les Alakalufs en Terre de Feu. Le 28 février 1947, Paul-Émile Victor fonde les Expéditions Polaires Françaises (EPF), devenues en 1991 l’Institut Français pour la Recherche et la Technologie Polaires (IFRTP), puis en 2002 l’Institut Polaire français Paul-Émile Victor (IPEV).

Cet organisme a actuellement la charge de la gestion des programmes scientifiques dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), ainsi que l’organisation logistique et scientifique des missions en Terre Adélie, en Antarctique et en Arctique (au Spitzberg et dans le passé au Groenland). L’IPEV va ainsi permettre la réalisation de centaines de missions en Antarctique, ainsi que la construction de deux bases permanentes sur le sixième continent : les stations Dumont d’Urville et Concordia.


En hommage à Louis Liotard, mort au Tibet en 1940, le « Groupe Liotard » est créé. Il intégrera quelques années plus tard la Société des Explorateurs Français. Ce groupe de jeunes turbulents – dont font partie Jacques Soubrier, Noël Ballif, Joseph Grelier, Guy de Beauchêne, Jean Raspail et Georges Lebrec – représente la nouvelle génération.


À cette époque, le pouvoir politique français soutient fortement l’exploration. Le Président de la République, Vincent Auriol, devient Président d’honneur du Groupe Liotard. Un prix est créé pour récompenser les plus grands explorateurs de l’époque. Baptisé « Prix Liotard », il est remis par le Président de la République française.



Les récits d’aventures et d’explorations touchent le grand public. Le livre « Annapurna premier 8 000 », qui relate la conquête de l’Annapurna dont la cime a été atteinte par Maurice Herzog et Louis Lachenal, est vendu à plus de dix millions d’exemplaires. Un succès qui démontre l’engouement pour ces expéditions lointaines.

L’aventure humaine se rapproche ensuite de la science. En 1957, le glaciologue Claude Lorius hiverne en Antarctique et comprend que les glaces contiennent l’histoire du climat de notre planète. Grâce à des carottages glaciaires, il va apporter les preuves du réchauffement climatique, et ce dès les années 1980.

En 1986, Jean-Loup Chrétien, pilote et astronaute français effectue la plus longue sortie extravéhiculaire dans l’espace. En 1989, Jean-Louis Étienne traverse l’Antarctique de part en part. Enfin, Bertrand Piccard et Brian Jones bouclent le 20ème siècle en réussissant un rêve cher à Jules Verne : le premier tour du monde en ballon !

Du tour du monde de Bougainville aux premiers pas sur la Lune, deux cents ans se sont écoulés, une poussière de temps à l’échelle géologique. L’histoire de notre Société a toujours favorisé la complicité entre les explorateurs et les scientifiques dans une conception de coopération internationale de la recherche


Mathieu Tordeur, Société de Géographie (Paris)


Chaque jour continue d’apporter sa moisson de découvertes. Pas un mois sans que ne soit trouvée une nouvelle espèce vivante, tandis que d’autres disparaissent, pas un mois sans qu’une découverte spéléologique et qu’une nouvelle technologie n’éclairent un pan de territoire inhospitalier, sans qu’une nouvelle mission ne dévoile les secrets d’un milieu, comme le montre par exemple, les incursions de Lucile Allorge au cœur de Madagascar.

L’idée que l’exploration n’aurait plus de sens aujourd’hui, que le courage intellectuel et le risque ne seraient plus d’actualité, n’est pas recevable.

Bien au contraire, l’appétit de connaissance, d’aventure et d’exploration, est plus vivace que jamais, et la Société des Explorateurs Français (SEF) a vocation à l’animer.

Notre rôle est plus que jamais de faire connaître au plus grand nombre les explorateurs d’aujourd’hui et plus encore, d’encourager ceux qui arpenteront le monde de demain.