Sylvain Tesson écrit :

Sagesse d’un colonel.

Le colonel Cagnat fut attaché militaire de la France en Asie centrale. Écrivain, il a publié de beaux livres sur l’espace steppique qu’il appelle Le milieu des empires. Consterné par l’intervention alliée de 2001 en Afghanistan, il a tenté d’alerter l’opinion par une série d’articles restés lettre morte. Il les réunit dans un recueil : Du Djihad aux larmes d’Allah (éditions du Rocher). Je ne partage pas les préventions de Cagnat à l’égard de l’Otan. Je reconnais aux USA le droit d’avoir voulu abattre l’homme qui les avait touchés au cœur. Je déplore que les Afghans ne s’interrogent jamais sur leurs propres responsabilités. Mais le colonel, avec une prescience rare, avait prévu l’embourbement et proposé des solutions dont les dirigeants se sont aperçus trop tard du bien fondé. Selon lui, sept erreurs fatales ont vicié l’action occidentale. Avoir étalé la force brute en larguant un tapis de bombes à l’automne 2001. N’avoir jamais considéré le Pachtounistan afghan et pakistanais comme un unique ensemble. Avoir joué Karzai contre Zaher Shah c’est-à-dire la corruption contre l’Histoire. Avoir financé la reconstruction du pays en négligeant la majorité rurale. Avoir négligé le renseignement au profit du retranchement. Avoir sous-estimé la lèpre de l’islamisme qui a infecté tous les champs de la société. Avoir laissé se restructurer les marchés de la drogue que les Talibans avaient démantelés. Tels sont « les sept piliers de la bêtise », les sept pêchés de l’Otan selon Cagnat. Leur énumération lui a valu les vespéries de sa hiérarchie. Il vit, isolé dans une satrapie du Turkestan, qu’il aime par-dessus tout. De là, il clame dans le désert. Puisse sa voix singulière être entendue.

 

Caricature.

Les uns professent qu’Il est amour et se comportent mesquinement. Les autres proclament qu’Il est grand et agissent bassement. Et si les Hommes n’étaient que la caricature de Dieu ?

 

Caricature II.

Au début de l’automne, l’affaire des caricatures de Mahomet a embrasé le monde musulman. En France, des esprits laïcistes ont proposé de bannir tout signe ostentatoire religieux dans l’espace public. Survient alors une contradiction urticante. Les croyants de toutes les grandes religions s’entendent pour affirmer que Dieu a créé les Hommes. Nos visages sont donc les preuves irréfragables de cette Genèse. Marcher dans la rue le nez au vent constitue, d’un point de vue théologique, une très agressive façon d’afficher sa foi. Seule, une décapitation générale de l’ensemble des membres de l’humanité pourrait réparer cette provocation.

 

Caricature III

J’ai trouvé une autre idée qui pourrait réconcilier tout le monde. On demanderait à un Conseil religieux de viser, avant parution, les journaux satiriques. La France, pays de pointe en matière de délit d’opinion, pourrait se charger de sa constitution. Le conclave, composé de rabbins, d’imams, de prêtres, de bonzes et de popes, (une God Team selon l’expression de Salman Rushdie) se réunirait avant les bouclages des journaux pour prévenir toute offense. Par esprit de réciprocité et pour célébrer cette notion de respect dont les monothéistes font grand cas, un comité de polémistes anarchisants et de caricaturistes serait chargé de revoir la copie des textes saints, d’en biffer les outrances, d’en lisser les pointes. On s’épargnerait ainsi du même coup les représentations de prophètes dans des positions obscènes et la lecture de versets comme le 52e de la neuvième sourate ou le 38e de la quatrième.

 

Ennui de la navigation à voile

Faire des milliers de miles pour aller étendre ses pièces de linge aux vents des confins…

 

Violence de la géologie

Le spectacle de ces montagnes tourmentées : cette manière du granit de dire au calcaire : j’étais là avant vous.

 

Signification du chien

Randonnée dans les montagnes de Corse. Les aiguilles de Bavella piquetées de pins, écharpées de brume, jaspées par un soleil féroce tiennent de l’estampe chinoise. Les journées s’écoulent, bornées par l’excitation du matin et l’épuisement du soir. On marche, on dort, on se lève et l’on va vers sa prochaine nuit. Un jour, pourtant, il faut redescendre, retrouver la vallée. Les premières maisons d’un village apparaissent, j’entends hurler un chien derrière une grille. L’aboiement est l’écho de la propriété.

 

Bizarrerie des expressions

Calvi, deux heures du matin. Des fêtards cherchent une boîte de nuit, ils croient donc que la nuit se laisse mettre en boîte.

 

Imposture des professions de foi

Jules Renard n’est pas un être religieusement compatible  : « je suis davantage capable de bonnes actions que de bonnes pensées » (Journal).