Jan-Pierre AUSTRUY et COCO

 

 

ROURA (Guyane)  (AFP) – Des caïmans par dizaines, des tortues par centaines, des boas de toutes tailles et couleurs et…un jaguar: la ferme d’élevage des « crocodiliens » et autres reptiles de la plus ancienne faune de Guyane, concentre la passion d’une vie, celle de l’Aveyronnais Jean-Pierre Austruy, le Samaritain des sauriens de la forêt amazonienne française.
L’homme est aussi singulier que ses locataires, tout droit sortis de Jurassic Park. Son royaume de 6 hectares, sur une hauteur de la jungle luxuriante à Roura -une trentaine de kms de Cayenne- est introuvable pour qui n’y est pas conduit. Nulle indication n’en signale la présence au PK 23 (point kilométrique) sur la route de Kourou.

Une piste de rocaille et de latérite qui n’est plus carrossable, grimpe à flanc de coteau et aboutie d’abord… à une grande et vétuste cage que l’on croit hors d’usage. Mais il est tapi là, silencieux, inquiétant, qui vous observe de son regard fauve. Il bondit contre les barreaux à votre approche: c’est Choupetto, l’imposant jaguar mâle de 11 ans, le cerbère des lieux.
Plus haut, une maison de plein pied et ses dépendances, vétuste elle aussi, ouverte aux vents et trombes d’eau de la saison des pluies tropicales.
En short, torse nu, cheveux en broussaille et moustache neige, un cigarillo coincé à la commissure des lèvres, apparaît le maître des lieux qui vit ici depuis plus de trente ans avec sa compagne Véronique.
L’accent rocailleux et chantant est bien celui de Millau où il a vu le jour il y a 57 ans: « Bienvenue à Nigricollis (le plus gros cobra cracheur) Parc…. ». Le ton est bourru, mais l’oeil malicieux ne trompe pas:
Jean-Pierre Austruy, ancien boulanger-pâtissier, mais passionné depuis le plus jeune âge par les serpents, batraciens, lézards, puis leurs grands frères caïmans, est un homme chaleureux et entier qui contre vents et marées et avec très peu de moyens, vit, comme un sacerdoce, sa passion des reptiles et des caïmans.

– Monstres antédiluviens –


La surface d’un grand bassin, couverte de végétation aquatique, frémit. Deux globes oculaires barrés d’un trait jaune émergent de l’eau boueuse, puis une énorme tête caparaçonnée avec une puissante gueule allongée, plantée d’incisives qui sont autant de poignards.
Et le corps suit. Un monstre antédiluvien de 6 mètres. C’est le caïman noir, le plus gros de l’espèce, un animal dont les origines remontent à plus de 250 millions d’années.
« J’ai ici les quatre espèces de Guyane, explique Jean-Pierre Austruy: le noir, le rouge, le gris et celui à lunettes ».
En tout, quelque 90 sauriens de toutes les tailles répartis en différents bassins qui se jettent les uns sur les autres en une effrayante mêlée, à l’heure du déjeuner.
Il y a là aussi plus de 250 tortues terriennes endémiques du département français d’outre-mer, carnivores et omnivores que l’on voit déchiqueter en quelques instants, comme des piranhas, un morceau de viande.
Dans plusieurs vivariums, s’enroulent et se déroulent les quatre espèces de boas de Guyane: l’énorme constrictor de 3m, le superbe émeraude, l’arc en ciel aux reflets éponymes et celui de Cook.

 

– 580 euros par mois-
Pour vivre et entretenir toute cette ménagerie, Jean-Pierre Austruy est condamné au « système D. » Sa seule ressource est le RSA… 580 euros mensuels.
Il récupère auprès de grands distributeurs, des lots de viandes dont la date de péremption est dépassée ou impropres à la consommation. Il se serre la ceinture en permanence, est toujours sur le fil du rasoir, mais s’accroche .
« On m’a mis tous les bâtons dans les roues, saisi des animaux, empêché l’ouverture au public, poursuivi en justice…, dit-il. Mais j’ai maintenant toutes les autorisations officielles de détention et d’élevage… Je vais présenter un projet de création de +ferme pédagogique+ pour obtenir des fonds européens…Je ne capitulerai jamais… »
« Sans mes animaux, je n’aurais plus de raison de vivre ! »

Patrick FILLEUX