Le bloc notes de Sylvain Tesson

Tellement bêtes

Les services de communication de la RATP ont encore frappé. Il y a peu, ils avaient ôté la pipe de monsieur Hulot, la remplaçant par un moulin à vent afin de ne pas heurter les passagers. Cette année, dans une campagne contre la muflerie envahissante (pardon, les « incivilités-voyageurs » en novlangue) les communicants souterrains ont décidé d’illustrer des scènes du sans-gêne ordinaire en recourant à l’imagerie animalière. S’étalent sur les affiches un buffle bousculant les passagers, une poule caquetant dans un téléphone, une grenouille qui saute par-dessus un tourniquet et un paresseux prélassé sur un strapontin aux heures de pointe. Le tout accompagné de ce charabia affreux (« restons civils sur toute la ligne ») dont le regretté Philippe Muray s’était fait l’impitoyable analyste. Tout cela est parfaitement inutile. Un peu agaçant aussi. Quand Lafontaine utilisait – en moraliste – les animaux pour camper des caractères, c’était pour en dire davantage avec les bêtes qu’on ne l’eut laissé en exprimer avec les Hommes. Le mode allégorique des fables ne trompait personne. Et cela donnait des poèmes universels qui ont traversé les siècles. Avec la RATP, c’est autre chose. Attribuer aux animaux l’expression des misérables bassesses humaines, afin de ne pas heurter ceux-là mêmes auxquels on reproche leur conduite, est une technique de chacal. Pardon, une ruse pas très fair-play.

 

Tellement Hommes.

Tous les ans, même rengaine. Nous devons nous taper les élucubrations d’un penseur stigmatisant l’écologie radicale. L’argumentation est simple : la pensée décroissante cacherait une haine de soi. Les protecteurs de l’environnement dissimuleraient sous leurs vertes diatribes une haine de l’Homme, du progrès et de la science. Ils pêcheraient par pessimisme et refuseraient de considérer que l’humanité a toujours convoqué son génie propre quand il fallait relever un défi. Bref, les défenseurs de la nature seraient des « khmers verts » (expression contribuant à la banalisation des vrais sanguinaires – les éponymes rouges). Trois catégories de gens se félicitent de ce genre de livres : les catholiques propagateurs pour qui la Terre est une couveuse à ne jamais désemplir, les industriels pour qui la Terre est un vaisseau à arraisonner et enfin ceux qui veulent sauver la planète mais sans réformer leur mode de vie. Cette année c’est Pascal Bruckner qui se colle à l’exercice. Après Luc Ferry et Jean Christophe Rufin (que nous admirons pour tout le reste !) – qui avaient anathématisé le combat écolo – Bruckner publie « Le fanatisme de l’apocalypse » (Grasset). Oh ! le beau diamant humaniste dans le brouillard vert. Oh ! la savante célébration de la culture et du savoir-vivre à destination des rétrogrades. Son livre est sorti au mois d’octobre. Au moment où l’effectif humain planétaire passe à sept milliards et où l’on enregistre en France des records de chaleur. C’est ce qui s’appelle le sens de l’à-propos.

 

Tellement drôle

Une nouvelle maison d’édition est née : Rue Fromentin. Premier livre, coup de maître. Un de ces romans que nous aimons parce qu’ils prennent le contre-pied du récit de voyage type « salle Gaveau 1953 » avec coucher de soleil « magnifique », enfants mongols « hilares » et populations frayant leur voie « entre tradition et modernité ». L’auteur, Charles Poitevin, est envoyé aux îles Fidji par sa mère qui ne le supporte plus (Bouvier disait qu’un voyage se passait de motif – en voilà un : se débarrasser des gens). Quand il arrive sur le tarmac, l’antihéros des antipodes s’exclame : « putain, j’y étais, je ne savais pas où j’étais mais j’y étais » et monte dans une voiture aux armes de l’OTARY CLUB, souvenir du temps où elle roulait pour le ROTARY CLUB jusqu’à ce que le « R » ne se détache. S’ensuit un déluge d’aventures languides, de naufrages magnifiques sur les récifs de l’ennui et de rencontres avec des Allemands à sandales, des humanitaires dépressifs, des Indiens grotesques, des Fidjiens hédonistes et alcoolos. De temps en temps, le texte est traversé par une description paysagère : « c’était terriblement vert » ou un rêve impossible : « peut-être qu’il y aurait de sublimes femmes venant de Suède qui seraient juste un peu plus vieilles que moi et qui me trouveraient super chou »… L’auteur joue au foot au bord des ravins, fait semblant de construire « un village pour la paix » et apprend la vie avec son pote Lou. Il y a quelque chose des aventures de Blondin dans les pathétiques tentatives de Poitevin de transcender la réalité à coup de rasades et un zeste de Houellebecq dans son incapacité à manifester le moindre enthousiasme devant le mystère de l’existence et la température tropicale. Puisque nous citons Houellebecq, signalons la parution de En Patagonie avec Michel Houellebecq, un livre de Juremir Machado Da Silva aux éditions CNRS. Du bastingage du bateau, Michel livre une analyse comparative des mérites du loup marin et du pingouin. Le premier, « animal bas de gamme », donnerait « un très mauvais exemple » au touriste. « Ils restent vautrés sur les rochers, comme des fainéants sur un divan, à ne rien faire…. Je ne vois aucune raison pour justifier leur existence ». Les pingouins, en revanche, lui « inspirent un certain optimisme. Ils sont un bon paramètre pour l’humanité ». On ne rabibochera pas Houellebecq avec les bandes de loups marins. Mais gageons qu’il aimerait Otary club.

Sylvain Tesson