CAYENNE (Guyane française) (AFP) – La Guyane, son bagne et ses forçats, page épique et douloureuse de l’histoire pénitentiaire française, a été au coeur de la 3e édition de la transatlantique à la rame Bouvet-Guyane, avec la victoire de Pascal Vaudé, chef d’entreprise guyanais et… petit-fils du bagnard évadé Raymond Vaudé, matricule 52.306.
Pascal Vaudé, dont c’est la seconde participation (8e en 2009), à cette compétition en solitaire unique (son équivalent britannique, le « Woodvale Challenge » étant ouvert aux équipages de 2, 3 et 4 concurrents), a fait la course en tête depuis le départ de Dakar le 29 janvier et a remporté l’épreuve en 37 jours et 10 mn de navigation.
22 concurrents et une concurrente avaient quitté la capitale sénégalaise fin janvier, mais 8 avaient dû raccrocher les avirons au fil des jours, victimes d’avaries ou d’épuisement.
La liberté au bout des rames
« Oui, je pense souvent à mon grand-père et je suis fier de lui… Mes pensées se sont encore plus tournées vers lui alors que se rapprochaient devant l’étrave de mon canot et après plus d’un mois de lutte acharnée contre l’océan, les côtes de Guyane qu’il avait lui-même fuies par la mer avec deux compagnons sur une barcasse de fortune, après son évasion, à la fin des années trente, du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni », a confié le vainqueur.
Raymond Vaudé reste une figure populaire en Guyane.
Condamné en 1933 à 5 années de travaux forcés pour un vulgaire cambriolage, il arrive au bagne en 1935, à bord du vapeur « La Martinière ».
Il est incarcéré comme des milliers d’autres forçats au « camp de transportation » de Saint-Laurent du Maroni où il fait la connaissance d’Henri Charrière, plus connu sous le pseudonyme de « Papillon ».
Mais tout condamné à moins de 8 ans, est en fait un « doublard ». Il lui est imposé, après sa libération, de rester en Guyane durant un nombre d’années équivalent à celui de sa peine.
Les « libérés » mais toujours prisonniers, sans ressources, vivent dans le plus complet dénuement à St Laurent. Ils sont quasiment condamnés à replonger dans la délinquance pour ne pas mourir de faim.
Raymond Vaudé, homme au caractère bien trempé, refuse ce destin cruel et imbécile. Il s’évade d’abord à deux reprises, mais est repris.
Sa troisième « belle » est la bonne quand avec deux compagnons d’infortune, il se jette à la mer sur une embarcation à voile et rames. Porté par le courant Sud-Nord qui vient de l’embouchure de l’Amazone et longe les côtes de Guyane -le même aujourd’hui emprunté par son petit-fils Pascal à l’approche de Cayenne- il rejoint les Grandes Antilles, puis s’embarque pour la France.
Le matricule 52.306 est un homme libre qui devient un « Français libre » en entrant dans la résistance à l’occupant nazi.
Il sera réhabilité en 1947 par le général De Gaulle.
Deux ans plus tard, sans aucune perspective de vie dans l’Hexagone, il rejoint son ancienne terre de souffrance devenue sa terre d’adoption et rentre en Guyane où il fait souche et fonde une famille.
Son petit-fils, plus d’un demi-siècle plus tard, « forçat de la mer » à sa façon, a été accueilli en héros à Cayenne.
En franchissant la ligne, il a signé deux victoires:
La sienne dans la 3e édition de la transat Bouvet-Guyane, mais aussi la revanche du matricule 52.306 et du grand-père Raymond Vaudé.
Patrick FILLEUX