Vol avec Sherkan

 

 

SCIEZ (Haute-Savoie) – Il rend leurs ailes aux rapaces nés en captivité, vole avec des aigles, plane avec des vautours, fend l’air avec des faucons: Jacques-Olivier Travers est le guide aérien des oiseaux de proie, des sommets alpins de Haute-Savoie aux rivages du Lac Léman.

Ce fauconnier français de 39 ans, est une figure emblématique mondiale de son art plusieurs fois millénaire, qu’il a enrichi d’une nouvelle discipline de son invention: le dressage et l’apprentissage au vol libre, d’oiseaux qui n’ont connu, depuis leur éclosion, que la prison grillagée de la volière.

« Ma démarche est l’inverse de celle des dresseurs aigliers d’Asie Centrale qui capturent des aiglons sauvages pour leur apprendre à chasser avec l’homme », explique-t-il dans son Parc animalier des « Aigles du Léman » à Sciez (Haute-Savoie) où il élève et fait travailler quelque 120 rapaces de 35 espèces, originaires de tous les continents.
« Mon but –au-delà de l’organisation de spectacles pédagogiques avec mes complices ailés– est de réinsérer dans le monde sauvage de leurs pays d’origine, ces prédateurs captifs », souligne le fauconnier.
Mais pour apprendre à voler aux rapaces, Jacques-Olivier Travers dut commencer par apprendre lui-même à voler en parapente et maîtriser un vertige compulsif.

Sherkan, l’aigle pêcheur         

SHERKAN

La belle histoire du fauconnier volant a commencé il y a 5 ans avec Sherkan, un aigle pêcheur (pygargue à tête blanche) d’Amérique du Nord, espèce dont l’effigie est l’emblème des Etats-Unis.
L’homme et le rapace ont commencé ensemble à défier les lois de la pesanteur, le premier accroché à une voile et découvrant comme le second avec la puissance de ses ailes (2 mètres d’envergure), la science et les secrets de la navigation aérienne.
Cette semaine, dans les cieux d’Avoriaz et Morzine, on pouvait –pour peu que l’on volât aussi– croiser les deux compères évoluant de concert au-dessus des forêts de sapins et mélèzes.
Skerkan, posé sur le bras ganté de Jacques-Olivier, prend son envol au premier pas de course de son maître pour gonfler la voile du parapente et décoller.
L’aigle monte très haut vers le zénith comme pour saluer la liberté retrouvée. Mais très vite, il opère un virage acrobatique et pique vers son compagnon humain. A quelque 70 km/h, il se pose sur le bras ganté, avale un peu de nourriture et reprend son vol.
Il s’interesse aussi au second parapente suiveur, comprenant que ses deux occupants sont aussi de la fête. Il est impressionnant de le voir fondre sur soi à plus de 100 km/h, pour vous esquiver à la dernière seconde dans un puissant bruissement d’aile qui déchire le silence de l’apesanteur.
Toute la durée du vol, il va et vient ainsi, autour, au-dessus et au-dessous des parapentistes, ne s’éloignant jamais beaucoup, se posant sur le bras nourricier et replongeant dans le vide azuré pour enfin atterrir de concert avec son dresseur.
« L’aigle reste un animal sauvage, remarque Jacques-Olivier Travers. Sherkan est certes attaché à moi, mais il pourrait maintenant choisir de s’évader. Il m’offre sa liberté et ce don est ma plus belle récompense ».

Mont-Blanc, Channel, Chutes Victoria

Au-dessus du Mont-Blanc

Dans le parc des « Aigles du Léman », voisinent les plus grands et gros rapaces du monde: aigles de toutes espèces, vautours, condors (le plus grand oiseau, 3,20 m d’envergure), mais aussi buses, faucons, hiboux et chouettes de toutes tailles et origines…
La méthode de réapprentissage au vol de ces grands rapaces, élaborée par le fauconnier savoyard a fait ses preuves.
Sherkan le captif, s’est envolé du sommet du Mont-Blanc en 2008 et a traversé la Manche l’année suivante. L’un de ses congénères du parc, un aigle africain, a survolé les chutes Victoria en Zambie cette année.
« Nous tentons les premières réintroductions à la vie sauvage de deux couples d’aigles pêcheurs, l’année prochaine en Asie, dit Jacques-Olivier Travers. C’est une première, un tournant dans ma vie, mais surtout… dans la leur ».

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Patrick FILLEUX (AFP)