L’exploit réussi en septembre et octobre par le Groupe Militaire de Haute Montagne qui est parvenu, pour la 1ère fois de l’Histoire, à traverser dans son intégralité la Cordillère Darwin à l’extrémité australe du Chili, a été rendu possible grâce à l’audace dans un passé récent, d’une poignée d’explorateurs et alpinistes qui avaient tenté la conquête de cette Terra Incognita et dont les enseignements ont été mis à profit par les militaires français.
Christian Clot est le pionnier qui osa en 2006, partir seul et au risque de sa vie, au coeur de cette cordillère protégée par la furie des éléments qui en interdisaient l’accès.
Voici l’article sur cette héroïque expédition, diffusé en janvier 2007 par l’AFP:
(AFP) – – Christian Clot, alpiniste franco-suisse de 33 ans, a réalisé au mois de décembre dernier, en solitaire, sans assistance, une « première mondiale » en explorant la partie centrale de la cordillère Darwin, queue australe de la cordillère des Andes en Terre de Feu chilienne.
Il est tombé dans des crevasses, a été emporté par une coulée de neige, a tremblé sous les explosions de compressions de glace, affronté des vents de 245 km/h et des déluges de neige et de pluie.
« Je l’ai fait. C’était une idée folle. J’en suis revenu. Je n’y retournerai plus », raconte-t-il à l’AFP, à son retour à Paris.
Le jeune explorateur ne colle en rien à l’image communément admise de « l’aventurier professionnel médiatisé ». C’est un garçon doux et un rien rêveur, modeste et dont le léger accent helvétique colorie les mots d’un brin de nonchalance.
La cordillère Darwin à qui le naturaliste Charles Darwin donna son nom après en avoir parcouru les contreforts en 1836, était son « inaccessible étoile » depuis cinq années.
Il y fit deux expéditions en 2004 et au printemps 2006 avec des scientifiques chiliens, mais échoua chaque fois à en explorer la partie centrale jamais parcourue par l’homme.
Il décide d’une ultime tentative à l’automne 2006. « Mes amis -Christian est membre du comité directeur de la Société des Explorateurs Français- ont tenté de me dissuader devant la dangerosité de l’entreprise en solitaire », dit-il.
Le premier pas
Mais il repart pour Punta Arenas, dernière ville chilienne sur le détroit de Magellan, pour préparer son expédition qu’il entame début décembre. Il se fait déposer par bateau au pied de la cordillère.
Il a 130 kg de matériel dont 90 de nourriture. Allers et retours incessants pour acheminer le tout à son camp de base, sur la cordillère. Le 2 décembre, il est à pied d’oeuvre. Sa position, sur le GPS est de 69°45 de Longitude ouest et 54°35 de latitude sud.
Pour la première fois, un pied d’homme laisse son empreinte sur la partie centrale de ce confetti de terre émergée du globe dont le théoricien de l’évolution des espèces dira à la fin de sa vie: « Il me reste deux images, les Galapagos et la cordillère Darwin ».
Crampons aux pieds et piolet à la main, sac sur le dos, il entreprend, pas à pas son périple inédit, en sondant devant lui la résistance de la couche neigeuse.
« Au fur et à mesure de mon avancée, je constatais que la réalité était pire que mes prévisions », raconte-t-il. « Aux plateaux parsemés de profondes crevasses masquées par la neige, succèdent des pentes et cascades de glace avec d’instables séracs, dans un paysage sans cesse en mouvement, qui se métamorphose en quelques heures sous le vent très violent et les fortes précipitations quasi-permanentes de neige et de pluie », décrit l’explorateur.
« Je me suis dit, c’est fini ! »
Il gravit deux sommets vierges de 1700 m et 2200 m. Il dort, blotti dans sa petite tente, d’un sommeil troublé par les grondements du vent et les fortes explosions qui ponctuent les violentes compressions de la glace en mouvement.
« Je suis tombé quatre fois dans des crevasses invisibles », lâche-t-il d’un ton égal.
Mais c’est à la mi-parcours que son destin a failli basculer. « Je rejoignais ma tente en descente d’une pente glacée et neigeuse. Et soudain, le grondement en amont et la masse blanche qui se détache. J’ai eu beau courir, la coulée de neige épaisse m’a rattrapé, englouti et emporté sur 250 mètres de dénivelé. Je me suis dit, +c’est fini+. Choqué mais conscient, enfoui sous la couche, j’ai creusé comme un fou lorsque ça c’est arrêté. Et je suis sorti. Je ne devais pas mourir ce jour là ».
Christian Clot est venu à bout de son exploration le 27 décembre. Il a ensuite rejoint Punta Arenas par les fjords et canaux, en pagayant sur son kayak pendant 36 heures.
« Ce fut une aventure, rien qu’une aventure… », dit-il.
Patrick FILLEUX