Sylvain Tesson écrit :

Plagieurs

Les écrivains accusés de plagiat, tout de même, manquent de références. Au lieu de s’embarrasser d’explications tortueuses, il leur suffirait de réciter le poème de Supervielle intitulé « Le Doute suit mes vers comme l’ombre ma plume ».

« Ah croire que l’on dit pour la première fois

Et n’être que l’écho brisé d’une autre voix (…)

Mes vers sont-ils de moi jusque dans la racine ?

Ne sont-ils qu’une greffe obscure qui décline ? »

Homosexuels

Les partisans du mariage pour tous, tout de même, manquent d’imagination. Voici quelques arguments jamais entendus dans leur bouche :

1) Il vaut mieux être élevé par Henry de Montherlant et Jean Genet que par les Thénardier.

2) Les Fourniret, les époux El-Assad, Nicolas et Elena Ceausescu, les Vaujour, Colette et Willy : veut-on vraiment encore célébrer des noces hétérosexuelles après que l’appariement des hommes et des femmes a prouvé, par ces exemples, sa nocivité ?

3) L’extraordinaire érudition de Bouvard et Pécuchet ne prouve-t-elle pas que les unions uranistes sont bénéfiques pour l’édification personnelle ?

4) Ne voit-on pas que des unions ont déjà été célébrées depuis longtemps entre artistes de même sexe dont les œuvres firent office de publication de bans somptueux (les Sonnets de Shakespeare, le portrait de Mona Lisa par Léonard, les pages incandescentes et morphiniques du journal de Mireille Havet[1], le dialogue socratique de l’Alcibiade majeur).

Assassinés

Les partisans de l’École des Annales, tout de même, font preuve de myopie. Jean-Christophe Buisson, lui, n’est pas aveuglé par les théories de Marc Bloch. Au début des années 1930, le grand professeur normalien défendit l’idée d’une Histoire totale, mue par des forces lourdes, structurelles, insoupçonnées, telles que les revendications sociales, les mutations anthropologiques, les avancées techniques, les soubresauts du climat, le prix des matières premières… L’objectif des Annales était de dégager l’Histoire du dharma politique, de ne plus la considérer comme un processus soumis à la volonté des puissants, aux caprices des chefs. Dans son essai Assassinés (Perrin, 140 balles, pardon : 21€), Buisson corrige le tir. Il identifie une nouvelle force qui préside au destin des Hommes et infléchit l’orbite de l’Histoire : le meurtre des Princes de ce monde. Buisson (qui a de vastes lectures) rappelle que Karl Marx voyait dans la violence « la sage-femme de l’Histoire ». En quinze portraits d’assassinés royaux, impériaux ou présidentiels, de Sissi à Nicolas II, de Lincoln à César, de Sadate à Dollfuss, Buisson fait apparaître qu’un assassinat politique est d’abord une rencontre entre deux destins, la conjonction héraclitéenne de deux contraires, le point de collision de deux trajectoires, un coup de foudre, au sens où la foudre frappe. Et cet accident, comme l’étincelle met le feu aux poudres, déclenche une chaîne d’événements chaotiques auquel on donne le nom d’Histoire. En général, d’ailleurs, le cours des choses suit une direction opposée aux espérances des assassins, lesquels se révèlent toujours les dindons de la force. Buisson explore les deux versants de l’assassinat (c’est le journaliste en lui qui aiguillonne l’historien) : l’ubac de l’assassin comme l’adret de la victime. Il expose les motifs du tueur, ses obsessions et sa grandeur solitaire ainsi que les prémonitions du souverain et sa vulnérabilité de colosse. Étrangement, on a l’impression au fil de ces pages que les souverains savent qu’ils doivent mourir comme si la certitude de cette menace sacralisait leur fonction. Parfois, Buisson va jusqu’à accorder des circonstances atténuantes à celui qui paraît le moins excusable (ainsi les Ceausescu ne manquent-ils pas d’une certaine grandeur dans la description que donne Buisson de leur exécution sommaire). Assassinés achève de nous convaincre que le sang de l’Histoire est autrement plus déterminant que son prétendu sens.

Hippies

Les hippies, tout de même, manquent d’enthousiasme et de sens du présent. L’autre matin, dans le Berry, je prenais le café avec un ancien beatnik (ses longs cheveux étaient devenus gris et il faisait ses courses sur internet avec une carte Gold). Nous lisions le journal et les nouvelles sur l’Afghanistan n’étaient pas très bonnes. Il soupira « de mon temps, quand on passait la frontière afghane, on respirait : on était arrivé à bon port, on se sentait en sécurité ». Et j’ai eu envie de lui dire qu’il avait beau jeu de ronchonner et qu’il avait trop lu Ginsberg et pas assez Ortega y Gasset lequel, dans La Révolte des masses (réédité aux Belles Lettres), règle leur compte aux nostalgiques : « Pour un fabricant de fume-cigarette d’ambre ou pour un fumeur de shilom, (c’est moi qui rajoute), le monde est en décadence, parce que l’on ne se sert presque plus de porte-cigarette d’ambre ».

 



[1] Éditions Claire Paulhan