Notre nuit de 4 mois s’achève. Bientôt c’est sûr, les ciels étoilés témoins de toutes nos

activités dehors vont nous manquer… Mais pour l’instant nous savourons les nuances

de roses qui soulignent l’horizon, préparant le retour du soleil. Notre champ de vison

s’élargit. La première vraie tempête de neige est arrivée juste à temps afin de

remodeler notre environnement pour le grand jour. Les éoliennes se sont dégourdies,

demain ce sera le tour des panneaux solaires. Nous redécouvrons même nos 4 chiens,

qui sont arrivés pendant la nuit polaire ! Qu’ils sont beaux. Cependant, c’est de

phoque qu’il faut les nourrir et dans notre filet, toujours rien. Heureusement que

certains Inuits du village voisin, plus experts et plus chanceux, nous en vendent ou

nous en offrent. Ainsi les chiens nous donnent du travail : chaque soir, dans la nuit, il

faut entre une et deux heures à France pour relever le filet plongé sous la banquise, à

400m du bateau : recasser la glace des trois trous, vérifier le filet et le réinstaller. En

échange, nos 4 compagnons procurent leur vigilance. Nous l’avons éprouvée

dernièrement avec deux passages d’ours, l’un invisible à nos yeux (il neigeait et faisait

nuit noire), l’autre se découpant à 200m dans les lueurs de l’aube (à midi). Ils offrent

aussi leur endurance. Ce sont eux qui assurent maintenant les portages de glace entre

l’iceberg le plus proche (source d’eau douce) et Vagabond; eux qui tractent la pulka

scientifique d’Eric, facilitant ses manips et assurant un surplus de sécurité; eux encore

qui, pour le plaisir de nous 8 (chiens et humains !), emmènent toute la famille sur le

qamutik (traîneau).

Depuis peu une motoneige est venue en renfort, elle permet à Eric d’étendre

considérablement ses zones de mesures (épaisseur de la banquise avec un

glaciomètre électromagnétique et relevés hydrographiques avec une bathysonde).

Mais cette autonomie grandissante n’est pas sans concession. Fini la paix de la

marche accompagnée d’un chien. Les onglées sont plus fréquentes et le froid plus

perçant avec la vitesse (par -35°C, à une vitesse de 30km/h, la température ressentie

est de -62°C!). Quand aux odeurs d’échappement, elles nous rappellent sans

équivoque la pollution et la consommation en essence de l’engin. C’est le prix d’une

certaine sécurité en cas d’urgence, mais bien entendu, cette Bravo (c’est le nom de la

motoneige !) est aussi un moyen de se rendre au village, une ou deux fois par mois,

pour ravitaillement et courrier, vraies douches et lessives, Internet, école, et pardessus

tout, passer un peu de temps avec nos nouveaux amis. Qui nous rendent

visitent à bord de Vagabond de temps en temps.

Il faut compter deux heures pour rejoindre le village. Notre premier trajet s’est fait

par -40°C le 24 décembre dernier, pour des fêtes de Noël mémorables. Magie de se

joindre à cette communauté de 140 personnes, se réunissant chaque nuit pendant 10

jours pour des jeux dans le gymnase. Cela resserre les liens, nous pouvons en

témoigner.

A leur contact, notre équipement s’est transformé. Avec les parkas offertes, larges et

munies de fourrures, nous apprenons à vivre encore plus confortablement dans ce

froid. Les moufles en peau de phoque cousues pour toute la famille sont étanches,

douces et rapides à enfiler. Le confort du poil qui coupe le vent, des matériaux

naturels non bruyants et assez rustiques sont parfaitement adaptés à nos activités

dans ce climat. A Grise Fiord, une famille nous a adoptés et nous héberge à chaque

passage. A partager leur quotidien, nous comprenons que même s’ils vivent comme la

plupart des nord-américains, la culture traditionnelle inuite reste très ancrée en eux.

La chasse (menée avec sagesse), le travail des peaux, l’amour de la nature. Il fait

encore trop froid pour que les familles entières se déplacent sur la banquise. Mais d’ici

un peu moins de deux mois, les températures se radouciront et les enfants vivront

plus dehors, les organismes avides de soleil feront leur plein d’énergie.

Tandis que la station météo de Vagabond enregistre ses heures les plus froides, son

équipage continue avec bonheur d’observer et de vivre cette banquise et ses discrets

habitants, en couleur dorénavant !

A bientôt,

France Pinczon du Sel et Eric Brossier

Blog: http://www.vagabond.fr/news