En quête d’un exploit extrême, six « as des cimes » de l’armée française se sont lancés début septembre à l’assaut de la cordillère Darwin, en Terre de Feu chilienne, l’une des dernières « Terrae Incognitae » du globe, jamais traversée dans sa totalité.

Avant le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM), plusieurs expéditions internationales ont relevé sans succès ce défi, au-delà des normes communément admises de la course en montagne, y compris sur les plus hauts sommets du monde.

La cordillère Darwin, queue australe de la cordillère des Andes, s’étend sur 170 km, d’Ouest en Est, dans les 50e Hurlants, entre le détroit de Magellan et le canal de Beagle.

L’auteur de la « Théorie de l’évolution des espèces » la découvrit en 1832 lors de son tour du monde à bord du Beagle. Elle est à l’alpinisme ce que le franchissement du Cap Horn, contre le vent et un jour de tempête, est à la navigation… En pire.

« Allô, c’est le lieutenant Didier Jourdain… »: derrière la voix un peu engourdie par le froid, on entend le vent hurler. L’appel vient d’un autre monde où l’homme, ce 21 septembre 2011, n’avait encore jamais posé le pied.

Didier Jourdain, 37 ans, le capitaine Lionel Albrieux, 40 ans, l’adjudant-chef Sébastien Bohin, 38 ans, le sergent-chef François Savary, 38 ans, Dimitri Munoz, (grimpeur civil du GMHM, 38 ans), et le caporal Sébastien Ratel, 25 ans, sont au coeur de la cordillère Darwin.

Ils ont été largués par bateau, depuis Punta Arenas, le 6 septembre, au pied Ouest de la cordillère, sur le détroit de Magellan. Depuis, ils progressent en totale autonomie dans ce « rectangle blanc » (NDLR: territoire jamais foulé par l’homme).

« En 15 jours, on a parcouru une trentaine de kilomètres de glaciers, champs de neige, crêtes et sommets inconnus, soit un cinquième de notre parcours », raconte le lieutenant du GMHM.

« La réalité dépasse de loin ce à quoi nous nous attendions. Ici, ce sont les quatre saisons en une seule journée. Nous n’avons eu qu’un jour et demi de soleil en deux semaines. Les conditions sont au-delà de l’extrême », ajoute le lieutenant Jourdain, pourtant un habitué, comme tous les hommes du GMHM, de l’Himalaya sans oxygène.

Il poursuit: « Le menu permanent, c’est neige, vent de furie, pluie et brouillard. Tous les pièges imaginables de la montagne sont concentrés ici: chutes de séracs (amas chaotiques de glace), menaces d’avalanches, profondes crevasses masquées par le manteau neigeux. On avance, on recule, on cherche d’improbables passages devant et entre des obstacles infranchissables… »

« Le 3e jour, devant une barrière quasi insurmontable, +l’expé+ a failli s’arrêter, avoue Didier Jourdain. Mais on a trouvé au dernier moment une rampe de passage dissimulée dans le coton. C’est l’incertitude en permanence, la découverte pas à pas de l’inconnu. Ca sera ainsi jusqu’au bout ».

Les six hommes progressent en permanence en cordée. Soudés, ils ne font qu’un. « Si nous parvenons toujours à avancer, à déjouer les pièges, c’est grâce à l’intelligence collective, à notre manière d’appréhender et d’analyser en commun chaque situation et de prendre collectivement les décisions qui s’imposent », souligne le militaire.

Au total, l’équipe est chargée de 450 kg de matériel, porté sur le dos et traîné sur des pulkas.

Chaque soir, blottis sous leurs tentes, transis, trempés, ils doivent attendre de sécher un peu avant de se glisser dans leurs duvets.

Ils ont emporté 35 jours de nourriture et espèrent atteindre le canal de Beagle dans le même laps de temps.

Ils ont osé violer le royaume de Mwono, un esprit du mal et du bruit rôdant dans les montagnes et les glaciers, qui terrifiait les indiens Alakalufs, une tribu fuégienne aujourd’hui éteinte.

En cas de grave « pépin », les possibilités de secours par hélicoptère sont quasi nulles.

Mais ils sont sur le fil de l’exploit. S’ils l’accomplissent, la cordillère Darwin, dernier « rectangle blanc » sur le planisphère, sera pour toujours parée des couleurs bleu, blanc, rouge. (Source AFP – Filleux)