Conférence de la rentrée

« It was The Route 66 »

Un film de Olivier Archambeau, 52 minutes

Projection le 13 octobre 2011 à 19 heures

Société de Géographie, 184 Bd Saint Germain 75006 Paris

La Route 66 traverse les Etats-Unis sur près de 4000 kilomètres, de Chicago à Los Angeles. Le film part à la recherche de cet axe mythique laissé à l’abandon, où les paysages grandioses voisinent avec les nombreux bourgs abandonnés. Le film sera projeté en présence des étudiants du Département de Géographie de l’Université Paris 8.

Officiellement, la Route 66, n’existe plus. Déclassée depuis 1985, elle a été peu à peu mise à l’écart du trafic, remplacée par les Interstates, ces larges et rectilignes rubans de bitume de deux fois deux voies, qui constituent aujourd’hui la base du réseau maillé autoroutier des Etats-Unis.

Pourtant, son nom reste connu de tous, son histoire et les mythes qui s’y rapportent bien vivants. Plus que jamais, celle que l’on appelle encore la Main Street of America apporte à ceux qui veulent l’emprunter une part de l’histoire et du rêve américain. Mais elle ne se laisse pas apprivoiser facilement. Il faut la débusquer et se laisser guider en empruntant des itinéraires différents, suivant qu’il s’agisse du tracé des années vingt, trente ou quarante.

Comme la plupart des grands axes transcontinentaux, la Route 66 ne s’est pas construite en un jour et aux Etats-Unis, le train a, à l’époque, beaucoup d’avance sur le réseau routier. Cependant, jusqu’au début du 20e siècle, on préfère encore envoyer les marchandises d’une côte à l’autre par bateau, bien qu’il faille pour cela faire le tour du continent Sud américain par le Cap Horn, le Canal de Panama n’ouvrant en effet qu’en 1914.

Il existe bien, au nord, la Lincoln Highway, qui relie New York à San Francisco dès 1913, mais elle ne désenclave pas le Middle West et n’ouvre pas les portes du grand sud ouest américain à l’automobile. Le chemin de fer relie pourtant l’Atlantique au Pacifique dès 1867, arrive au Grand Canyon en 1901 et permet de joindre, en 1920, Chicago à Los Angeles en deux jours et trois nuits sur un tracé qui deviendra, à peu de chose près, l’itinéraire de la future Route 66.

Au début des années vingt, en dehors de la Côte Est et de la Californie, le réseau routier américain n’est donc encore qu’un entrelacement de routes, parfois bitumées ou cimentées autour des plus grandes agglomérations. Mais la plupart du temps ce réseau reste en terre et très hétérogène suivant les Etats. Au cœur de l’Amérique, le bitume n’est pas arrivé et traverser le continent d’Est en Ouest en automobile relève de l’exploit, voire de l’inconscience, tant il faut affronter d’obstacles, des déserts brûlants aux montagnes quasi infranchissables avec les véhicules de l’époque. Il devient urgent d’agir.

Sous l’influence de l’Etat fédéral, d’hommes d’affaires de l’Illinois et de l’Oklahoma, la construction de la Route 66 est donc décidée en 1926. C’est Cyrus Avery (1871-1963), un homme ayant réussi dans le pétrole et Président de l’Associated Highway Associations of America, qui veillera à sa construction ou plus exactement à la cohérence des tracés, puisque ce sont les Etats traversés qui auront la lourde charge de financer le projet. Partant de Chicago pour rejoindre Los Angeles, la 66 devra progresser d’est en ouest à travers huit états (Illinois, Missouri, Kansas, Oklahoma, Texas, Nouveau Mexique, Arizona et Californie), sur presque 4000 kilomètres, des Grands lacs au Pacifique, en traversant nombre de territoires inhospitaliers.

Dans les années trente, les politiques publiques initiées dans le cadre du New Deal, par Franklin D. Roosevelt et destinées à fournir du travail aux victimes de la grande dépression à travers le WPA (Works Progress Administration) vont permettre d’achever la Route 66. Des milliers de jeunes chômeurs sont alors employés pour finir de mettre « en dur »  la Route 66 qui est finalement achevée en 1937.

Dans le même temps, de terribles sécheresses vont frapper le centre des Etats-Unis, notamment l’Oklahoma et l’Arkansas. Les terres devenues arides, alliées à un labourage trop intensif, ont favorisé le développement de l’érosion rapide des sols et de très violentes tornades, déjà naturellement présentes dans la région, ont engendré de véritables catastrophes pour les agriculteurs. Face à ces éléments et à une restructuration du foncier par les plus grands propriétaires, des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées jetées sur les chemins menant à la Route 66. Toutes se mirent alors à rêver de la Californie, de l’ouest et de la côte Pacifique, abandonnant ainsi leurs terres. La série de photographies de Dorothea Lange, dont le célèbre portrait de la mère migrante (1936) et le film américain réalisé par John Ford, d’après le roman de John Steinbeck, The Grapes of Wrath (Les Raisins de la colère) en 1940, vont devenir les symboles de cette dure période.

Lors de la Seconde guerre mondiale, la Route 66 devient logiquement une route stratégique et sert à convoyer troupes et matériels vers les ports du Pacifique. En sortant du conflit, l’Amérique retrouve l’insouciance et la prospérité économique et va inventer une véritable civilisation de l’automobile. La Route 66 va tout à la fois porter et devenir le symbole de cette nouvelle American way of life. L’arrivée de l’automobile de masse et les flux qu’elle va engendrer vont développer de nouvelles formes d’activités au bord des routes. Stations services, fast-food, motels, drive-in vont couvrir la 66 et l’ensemble du territoire des Etats-Unis.

Parallèlement, à la fin des années cinquante, la génération beatnik voit le jour. Portée par Jack Kerouac et symbolisée par son roman Sur la Route publié en 1957, la Beat Generation s’appuie sur l’automobile et les grands espaces de l’ouest, pour une nouvelle quête de l’authentique, pour offrir une vision et un mode de vie différent du monde au moment où l’Amérique est engagée au Vietnam.

La chanson de Bobby Troup, Get Your Kicks On Route 66, immortalisée par Nat King Cole en 1946 puis par les Rolling Stones en 1964 et les films Easy Rider de Dennis Hopper en 1969 et Bagdad Café de Percy Adlon en 1988, feront perdurer les mythes véhiculés par la 66.

Aujourd’hui, de la Corn Belt aux Rocky Mountains et du Missouri à Los Angeles, la Route 66 n’est plus qu’une succession de tronçons abandonnés ou servant à la desserte locale. Depuis 1985, les Interstates ont rejeté hors du trafic, donc hors de l’économie, nombre de villes et de bourgs. Ils ne sont pourtant qu’à quelques centaines de mètres, parfois moins, du long ruban de bitume sans arrêt sillonné par les camions et bordé par le train. Abandonnée à elle même, désertée, la 66 n’offre souvent plus que stations services délabrées et motels fantômes. Aujourd’hui, la Route 66 n’existe plus que dans l’esprit de ceux qui savent la percevoir, c’est l’avantage du mythe.

Olivier Archambeau